Amélioration de la modélisation de l’aléa débordement probabiliste en France
(1) Thomas Onfroy - Département R&D Modélisation, CCR
(2) Etienne Leblois - Unité de recherche Riverly-Lyon, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE)
(3) Jean-Philippe Naulin - Département R&D Modélisation, CCR
(4) David Moncoulon - Département R&D Modélisation, CCR
INTRODUCTION
La modélisation du débordement des cours d’eau lors d’une crue est une étape essentielle de la modélisation des dommages assurés consécutifs. Au regard des sinistres recensés par CCR, on estime que près de 35 % des sinistres, représentant 60 % des montants de pertes, sont localisés dans les zones de débordement des cours d’eau principaux. Les sinistres restants résultent pour leur part de phénomènes de ruissellement, du débordement de réseau, de remontées de nappes ou encore du débordement de petits cours d’eau ou des tronçons situés en tête de bassin.
Dans le cadre d´un processus d´amélioration continue des modèles Cat Nat, la chaîne de simulation du débordement a été mise à jour afin de consolider l´estimation des débits des crues et l’étalement des hauteurs d´eau au sein des lits majeurs des cours d´eau. Cette amélioration permet d’actualiser la cartographie de l’exposition ainsi que l´estimation des dommages probabilistes dus aux débordements. La modélisation de l´aléa débordement probabiliste est basée sur deux sources de modèles pluiedébit utilisés de manière complémentaire : (1) le modèle d’INRAE qui est utilisé pour modéliser les crues lentes et (2) le modèle pluie-débit de CCR, adapté à la simulation des crues rapides.
Les deux modèles utilisent en entrée les données ARPEGE-Climat de Météo-France. Ces données sont disponibles à climat actuel, mais également à climat futur selon les scénarios RCP 4.5 et 8.5 du GIEC.
Ces dernières pourront être utilisées par la suite pour évaluer l’impact du changement climatique sur les grands cours d’eau.
Trois principaux axes d’évolution ont été explorés au cours de ces travaux :
- la prise en compte de la modélisation des débits réalisée par l´INRAE sur les grands fleuves ;
- l’amélioration de la modélisation pluie-débits sur les cours d´eau et bassins versants secondaires ;
- la conversion des débits issus des deux méthodologies en hauteurs d´eau et leur propagation sur le MNT grâce à un modèle hydraulique.
MÉTHODOLOGIE
Modélisation des débits sur les grands fleuves (INRAE)
Cette modélisation a été réalisée dans le cadre d’un partenariat avec l’INRAE pour travailler spécifiquement sur les grands fleuves qui sont concernés par les crues lentes. L´étude s’est appuyée sur les données météorologiques fournies par Météo-France dans le cadre de l’étude climatique réalisée en 2018[1]. Il s’agit de 400 années sur lesquelles des données de pluie, de pression atmosphérique et de vitesses de vent ont été estimées en continu par le modèle ARPEGE-Climat. Les sorties de précipitations du modèle ARPEGE sont disponibles toutes les heures et avec une résolution spatiale de 8 km de côté. Trois versions des 400 années sont disponibles. Une version avec les conditions climatiques actuelles, une version correspondant au scénario climatique RCP 4.5 et une autre au scénario RCP 8.5 du GIEC.
Le modèle pluie-débit d’INRAE est un modèle journalier, fournissant des estimations de débits à l’emplacement d’un réseau de 1054 stations hydrographiques. Il fonctionne sur l’ensemble du catalogue de 400 ans, en prenant en compte l’état de saturation du sol de manière continue, mais également la fonte des neiges sur les cours d’eau à régime nival. Ainsi, ce modèle est particulièrement bien adapté pour les crues lentes et les grands cours d’eau jaugés. Il est en revanche plus limité pour les crues rapides qui vont durer quelques heures et concerner des petits cours d’eau qui ne présentent pas de stations hydrographiques. La sélection des événements se fait à partir d’un seuil sur le débit décennal. Tous les événements qui vont dépasser ce seuil feront l’objet d’une simulation par le modèle hydraulique.
Figure 1 – Schéma fonctionnel de la modélisation du débordement
Modèle pluie-débit sur les cours d´eau secondaires (CCR)
Afin d’estimer les débits sur des événements de type crue rapide, le modèle pluie-débit de CCR a été utilisé. Contrairement au modèle d’INRAE, il s’agit d’un modèle événementiel au pas de temps infra horaire. Il est donc particulièrement bien adapté aux événements rapides mais, comme il ne prend pas en compte l’évolution de l’humidité du sol sur le temps long et le débit de base, il est moins performant pour les crues lentes. Les simulations pluie-débit sont effectuées sur tous les événements sur lesquels la pluie dépasse le seuil décennal. Cette chaîne de modélisation a été appliquée sur un catalogue d’événements fictifs afin de déterminer l’exposition du territoire français aux événements de crue les plus extrêmes et de calculer des périodes de retour. Ces événements fictifs sont issus des simulations de 400 années en continu à climat actuel du modèle ARPEGE-Climat de Météo-France. Ces simulations avaient déjà été utilisées dans l’étude[1] pour estimer l’impact du changement climatique.
Conversion des débits en hauteur
Lorsque les valeurs propres aux débits des cours d’eau ont été estimées ou injectées sur le réseau hydrographique en cas d´observations débimétriques, les hauteurs de débordement sont calculées et propagées au sein du lit majeur à partir du MNT 25 m. Ces données altimétriques sont prétraitées afin de corriger des valeurs d’altitude à l’emplacement des digues, la plupart du temps sous-estimées du fait de la résolution moyenne du MNT. En outre, un creusement du MNT à partir du centre du lit mineur est effectué pour estimer la bathymétrie des cours d´eau. En effet, les données brutes du MNT 25 m de l’IGN ne permettent pas de connaître la profondeur des cours d’eau. La première étape du calcul du débordement consiste à convertir les débits en hauteur d’eau. Pour ce faire, des transects topographiques ont été créés sous SIG perpendiculairement aux cours d’eau tous les kilomètres. À partir de ces transects et du MNT, l’information sur la topographie du lit du cours d’eau est récupérée tous les 25 m le long du transect rendant possible le calcul d´une courbe de tarage (convertit du débit vers une hauteur d’eau) à partir de la formule de Manning-Strickler. Cette conversion est effectuée en distinguant le lit du cours d’eau en trois parties : le lit mineur, le lit majeur rive gauche et le lit majeur rive droite. Chacune de ces parties du lit présente un coefficient de rugosité dépendant de l’occupation du sol, renseignée à partir des données Corine Land Cover
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Modèle d’étalement
Une fois les hauteurs d’eau estimées, le débordement est simulé avec le modèle d’étalement. Celui-ci est basé sur les équations hydrauliques du modèle Lisflood-FP[2], basées également sur les équations de Saint Venant. L´étalement des hauteurs peut ainsi fonctionner en régime non permanent, c’est-à-dire qu´il prend en compte la dimension temporelle dans le calcul des écoulements. Il peut être ainsi alimenté par un débit qui fluctue au cours du temps. Le modèle Lisflood estime un débit sur la base de la rugosité du sol et de la pente de la ligne d’eau. Les flux sont propagés dans 4 directions sur le MNT : haut, bas, droite et gauche. Le modèle permet in fine de fournir une estimation de la hauteur d’eau maximale atteinte lors de l’événement sur chaque maille du MNT en se basant sur les 6 h de débit où la crue a été la plus importante. Cette chaîne de modélisation est désormais plus lente que celle développée précédemment. Cependant, cette augmentation des temps de calcul paraît raisonnable au regard de l’amélioration de la précision des simulations.
Figure 2 – Exemple de données de transects topographiques en région Parisienne
Figure 3 – Exemple de carte de hauteurs d’eau simulées pour les crues survenues dans le Languedoc en 2018.
Figure 4 – Cartographie de l’aléa probabiliste dans la région parisienne.
Figure 5 – Cartographie des hauteurs d’eau maximales atteintes lors d’un événement de période de retour centennal en région parisienne. L’extension de la crue de la Seine de 1910 figure en trait blanc.
LES PARTENAIRES
L’INRAE est un organisme de recherche français spécialisé dans les thématiques de l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Il est constitué de plus de 10 000 agents répartis dans 18 centres de recherche localisés dans toute la France.
RÉSULTATS
Évaluation du nouveau modèle de débordement
Le modèle a été validé sur 5 événements historiques significatifs en comparant les zones inondées simulées aux zones inondées observées. Les événements retenus sont les crues du Gard en 2002, celles sur le département du Var en 2010, les crues de la Seine et de la Loire de 2016, celles de la Seine et de la Marne de 2018 et enfin l’événement survenu dans le Languedoc en 2018. Ce panel d’événements compte à la fois des crues rapides et des crues lentes. La figure 3 illustre la comparaison entre les simulations et les observations pour l’événement du Languedoc en 2018. Les emprises observées (en rouge sur la carte) proviennent des données satellitaires de l´événement à 10 m de résolution (ESA Sentinel-1 et -2). Les résultats ont montré que le nouveau modèle débordement détecte 76 % des surfaces inondées lors d’un événement contre 30 % de surfaces qui sont détectées à tort comme étant inondées (fausses détections). Ces limites sont expliquées en partie par la résolution moyenne du MNT 25 m. Pour une estimation plus précise des emprises inondées et des hauteurs d´eau, un MNT d´une résolution inférieure à 25 m sera intégré à terme dans la chaîne de modélisation des inondations.
Cartographie de l´aléa probabiliste débordement
Ces simulations basées sur 400 années de précipitations fictives permettent de réaliser une cartographie de l´aléa sur l´ensemble du territoire métropolitain dont des exemples sont présentés dans les figures 4 et 5. Il s’agit d’une part de la carte d’aléa probabiliste où chaque maille contient une estimation de la période de retour de l’événement nécessaire à une inondation. Une maille rouge risque par exemple d’être inondée tous les 20 ans.
Le second type de restitution correspond aux hauteurs d’eau simulées pour une période de retour donnée. Sur la figure 5, il s’agit des hauteurs d’eau simulées pour un événement d´une période de retour de 100 ans sur le bassin versant de la Seine. Les résultats obtenus sont cohérents avec l’extension de la crue de 1910 sur la Seine, qui y est figurée en blanc.
CONCLUSION
Le second type de restitution correspond aux hauteurs d’eau simulées pour une période de retour donnée. Sur la figure 5, il s’agit des hauteurs d’eau simulées pour un événement d´une période de retour de 100 ans sur le bassin versant de la Seine. Les résultats obtenus sont cohérents avec l’extension de la crue de 1910 sur la Seine, qui y est figurée en blanc.
Ces développements réalisés pour mettre à jour la chaîne de modélisation du débordement ont permis d’augmenter la précision de l´estimation des emprises inondées et des hauteurs d´eau lors de la simulation d´une inondation à la fois sur les grands fleuves et les bassins versants secondaires.
Les évolutions ont été intégrées afin de recalibrer le modèle de dommage interne. La modélisation probabiliste permet de produire une cartographie des périodes de retour et des hauteurs d´eau associées afin de mesurer l´exposition du territoire métropolitain aux inondations pour différents scénarios climatiques. Cette modélisation pourra être répliquée en utilisant les jeux de données de Météo-France correspondant au scénarios climatiques RCP 4.5 et 8.5 du GIEC pour évaluer l’impact du changement climatique sur les cours d’eau en France. Ces travaux s’inscrivent dans un processus d’amélioration continue des modèles et d’autres évolutions pourront être apportées par la suite telles que l’utilisation de données de précipitations issues de modèles où d’observations radar, le passage à des données altimétriques mieux résolues, ou encore l’amélioration de la prise en compte des ouvrages défense des crues et des réseaux souterrains./
RÉFÉRENCES
1. CCR (2018) Les conséquences du changement climatique sur le coût des Catastrophes Naturelles en France à horizon 2050.
2. Bates et al. 2010. A simple inertial formulation of the shallow water equations for efficient two-dimensional flood inundation modelling. Journal Of Hydrology
CITATION
Onfroy et al., Amélioration de la chaîne de modélisation de l’aléa débordement probabiliste en France métropolitaine. In Rapport Scientifique CCR 2022 ; CCR, Paris, France, 2022, pp. 06-09