Typologie d’événements à aléas multiples pour l’Europe occidentale
(1) Aloïs Tilloy - Commission Européenne, Joint Research Centre, Italie & Département de Géographie, King’s College London, Angleterre
(2) Bruce D. Malamud - Département de Géographie, King’s College London, Angleterre
INTRODUCTION
À l’échelle mondiale et annuelle, les aléas naturels peuvent entraîner des pertes socio-économiques importantes. Cependant, ils sont loin d’être indépendants[1,2]. L’interaction ou la concurrence de différents aléas peut entraîner un impact supérieur à la somme des effets des aléas pris indépendamment[3]. Les événements extrêmes incluant plusieurs aléas sont généralement évoqués avec les termes événements multi-aléas (multihazard events) ou événements composés (compound events). Nous pouvons prendre deux exemples récents de tels phénomènes ayant impacté la France :
- en 2010, la tempête Xynthia atteint la façade atlantique. La tempête n’était pas particulièrement extrême pour la saison, mais la coïncidence de vents extrêmes, de marées hautes et d’une forte houle, combinés à des sols déjà saturés ont causé d’importants dégâts ;
- lors de l’été 2022, la superposition d’une sècheresse intense et des canicules successives, a contribué au développement de nombreux feux de forêts. Des études récentes ont entrepris de regrouper les aléas interdépendants en événements afin d’améliorer la compréhension des processus conduisant à des aléas multiples[4,5]. Cet article s’inscrit dans cet effort, avec l’objectif de comprendre le paysage multi-aléas d’une région donnée[6] en tenant compte de ses caractéristiques climatiques et géophysiques.
Cet article propose d’identifier et de regrouper les aléas naturels en réseaux multi-aléas pertinents pour l’Europe occidentale. La région étudiée est définie selon le concept de région biogéographique, soit une zone présentant des caractéristiques relativement homogènes en termes de biote (faune et flore) et de climat. L’Union européenne a délimité neuf régions biogéographiques pour l’Europe. Parmi celles-ci se trouve la Région atlantique européenne (RAE) qui comprend l’ensemble du Royaume-Uni et la partie ouest de la France (Figure 1) et qui a été étudiée dans cet article.
MÉTHODOLOGIE
Sélection des aléas
Chaque année, la RAE est exposée à une grande variété d’aléas naturels. Par exemple, alors que les basses terres côtières sont plus vulnérables aux tempêtes extratropicales, les zones montagneuses sont plus sujettes aux glissements de terrain. Les parties méridionales (Espagne, Portugal, France) de la RAE peuvent connaître d’importants incendies de forêt en été, tandis que les plaines de l’Angleterre, du nord de la France et de la vallée du Rhin sont exposées aux inondations fluviales. L’identification des risques naturels pertinents pour la RAE est effectuée sur trois critères principaux : (i) la fréquence d’occurrence, (ii) la pertinence spatiale (localisation), (iii) le potentiel d’impact sur les infrastructures énergétiques (production, distribution).
Pour chaque critère, chaque aléa naturel est évalué par une note semi-quantitative à trois niveaux : (-) non mentionné, (*) mentionné, (**) mentionné et important. Ces informations sont issues de différentes sources (Emergency Events Database EM-DAT, Spatial Effects and Management of Natural and Technological Hazards in Europe et Energy Technologies Institute) et de cartes d’aléas. En combinant les scores de pertinence sur chacun de ces trois critères, 16 aléas naturels avec un score de pertinence globale d’au moins *** ont été sélectionnés pour caractériser le paysage multi-aléas de la RAE (Tableau 1).
Création des réseaux multi-aléas
Les 16 aléas naturels (Tableau 1) sont groupés en réseaux multi-aléas. Un réseau multi-aléas est un ensemble d’aléas interdépendants susceptibles d’être déclenchés par les mêmes processus et se produisant dans un espace-temps donné. Ils peuvent être liés à des concepts développés au cours des deux dernières décennies pour comprendre les événements à multiples aléas : les prédicteurs (processus météorologiques influençant l’intensité et les dynamiques des événements composés), facteurs déclencheurs (facteurs déterminant la fréquence et l’intensité des aléas); scénarios (événement conceptuel utilisé pour la conception d’infrastructures), événements physiques (processus physiques déterminant les aléas); événements génériques (classification de groupes d’aléas). À partir du rapport sur la classification des aléas naturels de l’Integrated Research on Disaster Risk (IRDR) et de la revue de littérature de Tilloy et al.[7], il est possible d’élaborer les réseaux multi-aléas suivants :
1. Cyclone extratropical (hydrométéorologique)
2. Orage convectif (hydrométéorologique)
3. Mouvement de terrain (géophysique)
4. Aléas secs composés (hydrométéorologiques)
5. Aléas froids composés (hydrométéorologiques) Chaque aléa répertorié dans le Tableau 1 appartient à un (ou plusieurs) des cinq réseaux définis précédemment. Les cinq réseaux multi-aléas utilisés dans cette thèse et les aléas naturels qu’ils incluent sont résumés dans la Figure 2.
RÉSULTATS
Les dynamiques spatio-temporelles et les interactions qui définissent les cinq réseaux multi-aléas sont présentées dans cette partie. Les hypothèses concernant les interrelations des aléas au sein de chaque réseau multi-aléas sont principalement basées sur des travaux antérieurs[2-7]. Les descriptions de chaque réseau et interrelation d’aléas sont étayées à l’aide de la littérature et d’un catalogue de 50 événements à multiple aléas historiques en Europe occidentale.
Catalogue d’événements multi-aléas historiques
(MH) Le catalogue contient un total de 50 événements historiques qui se sont produits dans les pays de la RAE (10 événements pour chacun des cinq réseaux multialéas). Il est basé sur 32 sources traitant des aléas présentés dans le Tableau 1 (catalogues d’aléas uniques et d’événements hydrométéorologiques, de bases de données sur les catastrophes naturelles et d’une revue complète de la littérature). Les aléas, les interrelations, l’étendue spatiale et la durée de chaque événement multi-aléas sont identifiés. L’échelle spatiale correspond à l’empreinte totale de l’événement ayant provoqué des dommages selon les sources examinées. La durée des événements est également extraite de la littérature, elle est exprimée en jours et associée à la durée des impacts rapportés. La Figure 3 souligne les variations d’échelles spatiales et temporelles inter-réseaux (tempête convectives localisée et courtes vs. aléas secs vastes et persistants) mais aussi intra-réseaux (aléas froids brefs ou durables).
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Réseaux multi-aléas
Les cinq réseaux multi-aléas sont associés à un nombre variable d’aléas, allant de trois pour les mouvements de terrain à sept pour les orages convectifs. Il est important de noter que certains aléas naturels se retrouvent dans plusieurs réseaux multi-aléas. Par exemple, les précipitations extrêmes et les vents extrêmes, font tous deux parties des tempêtes extratropicales et des tempêtes convectives. La relation entre ces deux aléas diffère selon les réseaux multi-aléas auxquels ils appartiennent.
Chaque réseau d’aléa se voit attribuer un aléa dominant dérivé du catalogue d’événements multi-aléas historiques. L’aléa dominant est celui le plus susceptible de se produire et le plus interconnecté au sein d’un réseau (Tableau 2). Une fois les réseaux multi-aléas et leurs aléas associés définis, on peut se concentrer sur la nature des interrelations entre les aléas et leurs réseaux d’interrelations. La classification réalisée par Tilloy et al.[7], est utilisée pour développer les réseaux d’interrelations. Trois types d’interrelations sont considérés :
1) “Déclenchement (ou cascade)” : un aléa en déclenche un autre ;
2) “Changement de condition” : Un aléa modifie la probabilité d’un deuxième aléa en modifiant les conditions environnementales ;
3) “Aléas composés” : Différents aléas découlent d’un même phénomène. Les interrelations “déclenchement ” et “changement de condition” impliquent une causalité et sont donc représentées par des flèches alors que les “aléas composés ” dénotent une dépendance non causale (Figure 4). Dans la Figure 4, chacun des cinq réseaux multi-aléas définis dans le Tableau 2 est représenté graphiquement avec les aléas qui le compose et les interrelations entre ces aléas. Lorsque deux aléas peuvent avoir deux types d’interrelations, les deux types sont représentés. Par exemple, une sécheresse déjà existante peut accentuer une vague de chaleur (changement de condition) ou former un aléa composé avec cette dernière.
Figure 1 – Carte physiographique de l’Europe occidentale. La région biogéographique atlantique européenne est surlignée en blanc (EEA, 2002)
Tableau 1 – Les 16 aléas pertinents pour la RAE répartis en quatre catégories d’aléas naturels : (1) géophysiques, (2) atmosphériques, (3) hydrologiques, (4) biophysiques. Les scores de pertinence sont affichés pour (i) la fréquence d’occurrence ; (ii) pertinence spatiale ; (iii) impact sur les infrastructures énergétiques. La pertinence globale est la somme des 3 scores de pertinence. Les abréviations utilisées pour les aléas naturels correspondent à leurs appellations en anglais.
Figure 2 – Les cinq réseaux multi-aléas évoqués et les aléas associés répartis en quatre catégories d’aléas naturels : (1) géophysiques, (2) atmosphériques, (3) hydrologiques, (4) biophysiques
Figure 3 – Échelles spatiales (spatial footprint) et temporelles (duration) de 50 événements multi-aléas divisés en 5 réseaux. Mouvements de terrain (GM), Tempête convective (CS), Cyclone extratropical (ETC), Aléas combinés secs (CD) et Aléas combinés froids (CC).
Tabeau 2 – Définition des cinq réseaux multi-aléas, des aléas qui les composent, de leur aléa dominant (en gras) et de leur nombre d’interrelations. Les abréviations utilisées pour la dénomination des aléas naturels correspondent à celles introduites dans le Tableau 1.
LES PARTENAIRES
Ces recherches ont été effectuées dans le cadre de la thèse de doctorat d’Aloïs Tilloy au sein du département de Géographie du King’s College de Londres. Les travaux ont été financés par EDF R&D et effectués en collaboration avec l’équipe Natural Hazards du EDF UK R&D Centre. L’auteur travaille à présent au centre commun de recherche de la Commission Européenne.
CONCLUSION
Les réseaux multi-aléas sont des événements génériques ayant pour objectif de fournir un cadre initial pour modéliser les interrelations entre plusieurs aléas. Ceux-ci représentent une avancée par rapport aux matrices d’interrelations en associant plus de deux aléas. Cependant, la transition vers une approche quantitative requiert plus de bases de données répertoriant des aléas multiples et des méthodes de modélisation multivariées tels que les réseaux bayésiens ou les grappes de copule. Le concept d’aléa dominant développé dans cet article crée de nouvelles possibilités d’analyses multivariées.
L’étude de l’évolution d’aléas « satellites » et de leurs interrelations par rapport à un aléa dominant « central » permettrait de réduire la complexité de la modélisation.
La typologie développée synthétise les connaissances interdisciplinaires sur les interrelations entre aléas, rassemblant les aléas atmosphériques, hydrologiques, géophysiques et biophysiques d’une région donnée. Enfin, cet article fournit une vision claire des interrelations entre aléas susceptibles de provoquer des dégâts dans la RAE. Le catalogue d’événements multi-aléas historiques ainsi que l’ensemble des références sont disponibles dans la thèse de Aloïs Tilloy[8]./
Figure 4 – Les cinq réseaux multi-aléas schématisés avec les trois types d’interrelations entre aléas à l’intérieur des réseaux représentés. Les abréviations utilisées pour la dénomination des aléas naturels correspondent à celles introduites dans le Tableau 1.
RÉFÉRENCES
1. Hewitt, K. & Burton, I. Hazardousness of a place: A regional ecology of damaging events. (University of Toronto Press, 1971).
2. Gill, J. C. & Malamud, B. D. Reviewing and visualizing the interactions of natural hazards. Rev. Geophys. 52, 680–722 (2014).
3. Terzi, S. et al. Multi-risk assessment in mountain regions: A review of modelling approaches for climate change adaptation. J. Environ. Manage. 232, 759–771 (2019).
4. Zscheischler, J. et al. A typology of compound weather and climate events. Nat. Rev. Earth Environ. 1, 333–347 (2020).
5. Schauwecker, S. et al. Anticipating cascading effects of extreme precipitation with pathway schemes - Three case studies from Europe. Environ. Int. 127, 291–304 (2019).
6. Gill, J. C., Malamud, B. D., Barillas, E. M. & Noriega, A. G. Construction of regional multihazard interaction frameworks, with an application to Guatemala. Nat. Hazards Earth Syst. Sci. 20, 149–180 (2020).
7. Tilloy, A., Malamud, B. D., Winter, H. & Joly-Laugel, A. A review of quantification methodologies for multi-hazard interrelationships. Earth-Science Rev. 196, 102881 (2019).
8. Tilloy, A., Understanding and modelling extreme multihazard events, Phd theses, 2021, https://kclpure.kcl.ac.uk/portal/ en/theses/understanding-andmodelling-extreme-multihazardevents(3fe54436-4375-4530-a4fe24c6992c09bf).html
CITATION
Tilloy et al., Typologie d’événements à aléas multiples pour l’Europe occidentale. In Rapport Scientifique CCR 2022 ; CCR, Paris, France, 2022, pp. 60-63