Simulations à climat constant et simulations continues pour la modélisation des événements extrêmes
(1) Dorothée Kapsambelis - Département R&D Modélisation, CCR
(2) David Moncoulon - Département R&D Modélisation, CCR
(3) Martine Veysseire - Direction des Services Météorologiques, Météo-France
INTRODUCTION
Ces dernières années sont marquées par des événements climatiques de grande ampleur (crue de la Seine et excès d’eau de 2016, Ouragan Irma de 2017, sécheresse de 2018 et 2022) et la France enregistre des dommages économiques assurés et des pertes agricoles importantes. Ces événements qui se succèdent rappellent l’exposition du territoire français et la vulnérabilité de notre société aux risques naturels. Afin d’adapter les politiques publiques de gestion des risques, il est nécessaire de chiffrer les événements climatiques extrêmes sur le long terme. Dans ce contexte, pour connaître l’exposition aux risques de nos territoires dans le futur, en intégrant l’impact du changement climatique, les experts du climat ont développé de nombreux modèles climatiques globaux et régionaux.
Ces modèles sont construits sur les lois de la thermodynamique et les concepts de la mécanique des fluides. Ils sont complétés par des paramétrisations complexes qui permettent de représenter certains phénomènes du climat. Pour une modélisation spécifique sur le territoire français métropolitain, la base de données DRIAS référence les paramètres climatiques simulant le changement climatique des modèles EURO-CORDEX. La base DRIAS a l’avantage de posséder les données débiaisées sur la grille de ré-analyse SAFRAN. La question se pose alors du choix du modèle à utiliser voire de la création d’une combinaison de modèles pour avoir plus de robustesse dans les résultats. Chez CCR, le choix a été fait d’utiliser le modèle ARPEGE-Climat et de réaliser une modélisation à climat constant. L’intérêt de cette méthodologie est de simuler pour une même année cible, un panel d’événements climatiques possibles, qui ne se sont pas nécessairement produits. Pour les deux années cibles 2000 et 2050, 400 simulations sont réalisées et doivent être interprétées comme des réalisations possibles de l’année dont la probabilité d’occurrence est calculée.
Cette méthodologie innovante permet de faire une analyse spécifique sur les événements extrêmes, qui sont rares par définition. Cependant, le choix de l’utilisation d’un seul modèle climatique peut être discuté. C’est pourquoi, cet article propose de confronter les résultats obtenus avec les simulations à climat constant d’ARPEGE-Climat et ceux obtenus avec les simulations continues de trajectoires climatiques de 5 modèles d’EURO-CORDEX. Les résultats sont présentés sur la sécheresse et l’indicateur climatique utilisé pour la représenter est l’indice agro-climatique développé par CCR, qui représente une anomalie décadaire cumulée du bilan hydrique basé sur la différence entre les précipitations et l’évapotranspiration potentielle[1]. Pour représenter le climat futur, le scénario RCP 8.5 du GIEC est étudié.
MÉTHODOLOGIE
Données multi-modèles utilisées et calcul de l’indice
Les données utilisées sont issues de la base de données du DRIAS : modélisation régionale EURO-CORDEX et descente d’échelle pour la France à partir des données SAFRAN à 8 km. Cinq modèles ont été utilisés, en plus du modèle CNRMCM5. Il s’agit des modèles suivants :
- IPSL-CM5A développé par l’Institut Pierre Simon Laplace (ISPL), couple le modèle d’atmosphère LDMZ, le modèle d’océan OPA, le modèle de glace LIM et le modèle de surface ORCHIDEE[2].
- CNRM-CM5, développé par le Centre national de recherches météorologiques (CNRM). Il est constitué de plusieurs modèles. Ainsi, il intègre le modèle ARPEGE-Climat pour l’atmosphère, le modèle d’océan NEMO, le modèle de glace de mer GEMATO, le modèle de surface continentale et flux océanatmosphère SURFEX et le modèle TRIP pour simuler le transport de l’eau douce des fleuves vers les océans[3].
- NCC, développé par le centre du climat de Norvège et l’Université de Corporation for Atmospheric Research en Norvège[4]. Il intègre un modèle d’océan, un modèle atmosphérique, un modèle de glace, un module pour le cycle de carbone et est utilisé pour des prévisions climatiques.
- MPI, développé par Max-Planck-Institüt für Meteorologie. Il couple un modèle d’océan, d’atmosphère et de surface continentale[5].
- MOHC, développé par le Met Office Hadley Centre, et intègre un modèle d’océan, un modèle d’atmosphère et un modèle de surface continentale[6].
- Une dernière simulation intégrant les valeurs de tous ces modèles est également réalisée et se nomme « multi-modèles ».
Ces modèles ne possèdent pas plusieurs représentations d’une année cible, il s’agit de simulations de trajectoires climatiques forcées selon les différents scénarios RCP du GIEC. Il existe donc une seule représentation de l’année 2000 et une seule représentation de l’année 2050. Ainsi, pour représenter le climat 2000, l’indice agro-climatique est calculé sur la période 1985- 2005 qui correspond à la période de référence de ces modèles. Pour représenter le climat 2050, l’indice agro-climatique est calculé sur la période 2040-2060 (selon le scénario 8.5 du GIEC). Cela permet d’avoir un panel de 21 événements sur les deux périodes. L’indice est calculé à l’échelle de la maille de 8 km x 8 km sur la France métropolitaine et sa valeur moyenne annuelle est ensuite calculée sur la France entière, ainsi que la valeur décennale France entière de l’indice sur les deux climats.
Calcul de l’indice agro-climatique sur les simulations à climat constant
Afin de comparer les résultats obtenus sur les simulations continues et sur les simulations à climat constant, il a fallu adapter la méthodologie de calcul de l’indice agro-climatique pour qu’il soit calculé sur 21 ans à climat constant. Les valeurs de l’indice agro-climatique ont donc été calculées sur 21 années successives de simulations à climat constant avec le modèle ARPEGE-Climat. Ainsi, 100 tirages de valeurs de l’indice à l’échelle nationale sont obtenus. La distribution des valeurs moyennes et des valeurs décennales de l’indice agroclimatique des 100 tirages à climat constant est étudiée et comparée avec les résultats des valeurs d’indice sur les modèles à trajectoires continues.
Figure 1 – Distribution des valeurs annuelles moyennes sur la France métropolitaine de l’indice agro-climatique sur le modèle ARPEGE-Climat (box plot) et valeurs de l’indice agro-climatique pour les 5 modèles d’EURO-CORDEX (points en couleur) entre le climat 2000 et le climat 2050.
RÉSULTATS
La Figure 1 présente la comparaison des valeurs annuelles moyennes de l’indice agro-climatique sur la France métropolitaine sur le climat 2000 et le climat 2050. Cette distribution de 100 tirages à climat constant contient l’ensemble des valeurs annuelles moyennes de chacune des simulations continues. On constate que tous les modèles montrent un assèchement généralisé avec une diminution de l’anomalie de bilan hydrique décadaire. Cependant, les valeurs extrêmes de l’indice sont mieux représentées avec les simulations à climat constant du fait du nombre important de simulations sur l’année cible. Les simulations à climat constant sont donc plus adaptées à des études sur les événements extrêmes. Cette analyse porte sur une approche moyenne nationale des valeurs de l’indice. Elle peut cacher des variations plus importantes à une échelle géographique plus fine. Cela fait l’objet de travaux en cours.
# événements extrêmes climatiques
# simulations à climat constant
# simulations continues
La Figure 2 présente l’évolution des valeurs annuelles moyennes sur la France métropolitaine de l’indice entre le climat actuel et le climat futur. La moyenne des simulations à climat constant est supérieure à l’évolution obtenue pour chacun des modèles d’EURO-CORDEX.
La Figure 3 présente la comparaison des valeurs décennales de l’indice agroclimatique sur la France métropolitaine sur le climat actuel et le climat futur. La distribution des valeurs de l’indice calculée à climat constant sur le modèle ARPEGE-Climat contient toutes les valeurs décennales des autres modèles, ce qui valide la robustesse de la simulation à climat constant pour la prise en compte d’événements extrêmes. Sur les modélisations continues, seules 21 représentations de l’année cible sont possibles. Ainsi, la valeur décennale de l’indice agro-climatique est calculée uniquement sur 2 valeurs ce qui entraîne de nombreuses incertitudes. De plus, un des modèles (modèle MOHC) montre une tendance contraire aux autres, ce qui signifie que les sécheresses décennales seraient moins intenses à horizon 2050. Ces résultats semblent peu probables au vu des nombreuses études réalisées et publiées et de la tendance représentée par les autres modèles [7].
L’évolution des sécheresses décennales sur la France métropolitaine sur les simulations EURO-CORDEX et sur les 100 tirages d’ARPEGE-Climat à climat constant est présentée en Figure 4. Il apparaît que selon les modèles, l’évolution est très différente et n’est pas homogène. Néanmoins, la distribution de l’évolution des valeurs de l’indice agro-climatique des 100 tirages de simulation d’ARPEGE-Climat contient toutes les évolutions des modèles, ce qui montre la robustesse des simulations à climat constant pour la simulation des événements extrêmes à horizon futur.
Figure 2 – Evolution (%) des valeurs de l’indice agro-climatique entre le climat futur (RCP 8.5) et le climat actuel calculé sur les simulations du modèle ARPEGE-Climat de Météo-France (100 tirages - boxplot) et sur les modèles EURO-CORDEX (un point par modèle)
Figure 3 – Distribution des valeurs décennales sur la France métropolitaine de l’indice agro-climatique sur le modèle ARPEGE-Climat (box plot) et valeurs de l’indice agro-climatique pour les 5 modèles d’EURO-CORDEX (points en couleur) entre le climat 2000 et le climat 2050.
Figure 4 – Évolution (%) des valeurs de l’indice agro-climatique entre le climat futur (RCP 8.5) et le climat actuel calculé sur les simulations du modèle ARPEGE-Climat de Météo-France (100 tirages - boxplot) et sur les modèles EURO-CORDEX (un point par modèle).
LES PARTENAIRES
Météo-France en tant que service météorologique et climatologique national conduit des travaux, études et recherches sur le climat et son évolution future. À ce titre, Météo-France est une source d’information et d’expertise essentielle pour la bonne réalisation des missions de CCR. Météo-France et CCR entretiennent un partenariat depuis 2013.
Enfin, du fait des variations importantes des valeurs de l’indice entre les modèles, et particulièrement sur les valeurs décennales, en couplant les différents modèles pour faire un multi-modèle, et en calculant des valeurs extrêmes de manière statistique (quantiles 10-90), il est calculé un quantile 90 qui correspond à la valeur générée par un des modèles utilisés et un quantile 10 qui correspond à la valeur générée par un autre modèle EURO-CORDEX. Ainsi, il est généré un biais qui s’ajoute aux biais de chacun des modèles et qui engendre la simulation d’une distribution d’événements climatiques non homogène et qui n’est pas nécessairement réaliste.
CONCLUSION
Cet article propose une méthodologie pour comparer les simulations à climat constant du modèle ARPEGE-Climat et les trajectoires climatiques simulées par les modèles EURO-CORDEX sur le climat 2050 en utilisant le scénario RCP 8.5 du GIEC. Cette étude met en évidence la nécessité de posséder un large panel d’événements climatiques pour réaliser une étude spécifique sur les événements extrêmes. Afin de combiner l’intérêt de disposer de plusieurs modèles et la nécessité, démontrée ici, de disposer d’un grand nombre de simulations d’une même année cible, il sera nécessaire à l’avenir de croiser ces deux approches. Cependant, à ce jour, les temps de calcul nécessaires et la volumétrie des données en sortie limitent la capacité opérationnelle à réaliser ce type de simulations. Mais au vu de l’augmentation permanente des capacités de calcul, cette option reste envisageable pour le futur./
RÉFÉRENCES
1. Kapsambelis, Dorothée, David Moncoulon, et Jean Cordier. 2019. « An Innovative Damage Model for Crop Insurance, Combining Two Hazards into a Single Climatic Index » Climate (7) (11): 125. https://doi.org/10.3390/ cli7110125.
2. Marti, Olivier, Pascale Braconnot, Jacques Bellier, Rachid Benshila, Sandrine Bony, Patrick Brockmann, Patricia Cadule, et al. 2006. « The new IPSL climate system model: IPSL-CM4 ». Other Notes scientifiques du Pôle de modélisation du climat. 26. IPSL. https://hal. archivesouvertes.fr/hal03319443.
3. Voldoire, Aurore, Emilia Sanchez-Gomez, David Salas y Mélia, B. Decharme, Christophe Cassou, Stéphane Sénési, Sophie Valcke, et al. 2013. « The CNRM-CM5.1 Global Climate Model: Description and Basic Evaluation ». Climate Dynamics 40 (mai): 2091. https://doi. org/10.1007/S00382-011- 1259-Y.
4. Bentsen, M., I. Bethke, J. B. Debernard, T. Iversen, A. Kirkevåg, Ø Seland, H. Drange, et al. 2013. « The Norwegian Earth System Model, NorESM1-M – Part 1: Description and Basic Evaluation of the Physical Climate ». Geoscientific Model Development 6 (3): 687-720. https://doi.org/10.5194/gmd6-687-2013
5. Gutjahr, Oliver, Dian Putrasahan, Katja Lohmann, Johann H. Jungclaus, Jin-Song von Storch, Nils Brüggemann, Helmuth Haak, et Achim Stössel. 2018. « Max Planck Institute Earth System Model (MPI-ESM1.2) for High-Resolution Model Intercomparison Project (HighResMIP) ». Preprint. Climate and Earth System Modeling. https://doi. org/10.5194/gmd-2018-286.
6. Bellouin, N., W. J. Collins, I. D. Culverwell, P. R. Halloran, S. C. Hardiman, T. J. Hinton, C. D. Jones, R. E. McDonald, A. J. McLaren, et F. M. O’Connor. 2011. « The HadGEM2 family of met office unified model climate configurations ». Geoscientific Model Development 4 (3): 723-57.
7. Soubeyroux, Jean-Michel, Sébastien Bernus, Lola Corre, Agathe Drouin, Brigitte Dubuisson, Pierre Etchevers, Viviane Gouget, et al. 2020. « Les nouvelles projections climatiques de référence DRIAS 2020 pour la métropole », Météo-France. 98.
CITATION
Kapsambelis D. et al., Comparaison des simulations à climat constant et des simulations continues pour la modélisation des événements extrêmes de sécheresse. In Rapport Scientifique CCR 2022 ; CCR, Paris, France, 2022, pp. 34-37