Apport des modèles de CCR pour mesurer l’efficacité des mesures de prévention sur les dommages assurés
(1) Jérémy Desarthe - Département Fonds Publics et Prévention, CCR
(2) David Moncoulon - Département R&D Modélisation, CCR
(3) Roxane Marchal - Département R&D Modélisation, CCR
INTRODUCTION
Le partenariat avec la DGPR
À l’automne 2021, une convention pluriannuelle a été signée entre CCR et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la Transition écologique. Cette convention confie à CCR des missions d’intérêt général relatives à la connaissance des risques naturels et des dispositifs de prévention. Grâce à la mobilisation des données et modèles de CCR, les travaux visent plus précisément à améliorer les diagnostics de l’exposition des territoires aux risques naturels notamment à l’horizon 2050 ; à analyser la mise en œuvre des dispositifs publics de prévention, à en évaluer les bénéfices et à apporter un appui à la structuration des politiques publiques de prévention et un accompagnement aux services déconcentrés de l’État dans leurs travaux et leurs réflexions.
La modélisation et les projections en 2050 en résumé
Par son rôle au sein du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, CCR développe depuis plus de quinze ans, une plateforme de modélisation des aléas et des dommages assurés. L’objectif de ces travaux de modélisation est, d’une part, de fournir une estimation des dommages consécutifs aux événements extrêmes quelques jours après leur survenance et, d’autre part, d’apporter sur le temps long les éléments nécessaires à la pérennité de l’équilibre du régime Cat Nat. Dans cette perspective, plusieurs études ont été menées avec Météo-France pour évaluer l’impact du changement climatique sur le montant des catastrophes naturelles à l’horizon 2050. Une méthodologie originale a été mise en place, avec les scénarios ARPEGE-Climat à climat constant : c’est à dire la simulation de 400 ans de climat type “2000” et la simulation de 400 ans de climat type “2050” selon différents scénarios de concentration de gaz à effet de serre issus des travaux du GIEC. En 2018, l’étude s’est focalisée sur les conséquences du scénario RCP 8.5, le plus sévère et correspondant à une hausse de température probable de + 4 °C en 2100. Les résultats ont montré que le changement climatique se traduirait par une hausse moyenne de 35 % des dommages annuels moyens assurés du fait de l’accroissement de la fréquence et de la sévérité des catastrophes naturelles. Si l’on intègre l’effet lié à la concentration des populations, prévue par l’INSEE, dans les zones à risques, cette hausse serait évaluée à + 50 %.
L’effet le plus marquant est celui sur les submersions marines. En effet, les dommages augmenteraient de + 82 % du fait essentiellement d’une hausse de 23 cm du niveau marin. Cette hausse qui peut paraître faible, devient un facteur important d’accroissement des dommages en cas de submersion marine due à une tempête côtière.
Les études liées à la prévention et à la réduction des dommages
Impact de la loi Elan
La sécheresse géotechnique liée au retrait-gonflement des argiles (RGA) constitue aujourd’hui un risque prégnant. Sur la période 2016 - 2021, elle représente près de 49 % des indemnisations versées au titre du régime Cat Nat. La sécheresse géotechnique devance ainsi les inondations qui ont été à l’origine de 53 % des dommages assurés depuis 1982. En 2018, la loi Elan a tenté d’apporter une réponse à cette problématique en proposant tout d’abord une cartographie de l’exposition du territoire au phénomène RGA. Cette cartographie s’accompagne de recommandations sur les études à mener concernant les nouveaux projets de construction. L’objectif est de permettre la construction de logements tout en n’aggravant pas l’exposition des enjeux au phénomène de retrait et gonflement des argiles.
Ainsi, une modélisation de l’évolution des dommages consécutifs au phénomène de sécheresse RGA a été réalisée en négligeant les dommages aux nouvelles constructions dans les zones à risque, considérés comme pris en compte par la prévention. Pour ce faire, l’identification de ces nouvelles constructions en lien avec leur localisation par rapport au zonage du BRGM a été menée et un nouveau portefeuille de biens assurés pour le marché a été construit.
Les simulations de 400 années à climat actuel et 400 années à climat futur ont été reprises en modifiant les paramètres d’évolution des populations dans ces zones à risques. Les résultats montrent des dommages qui augmentent moins vite à horizon 2050, mettant en évidence l’efficacité de la loi Elan pour limiter les conséquences du changement climatique en se concentrant sur la problématique liée à la construction du bâti. L’application stricte de cette nouvelle règlementation devrait ainsi permettre de réduire de 100 M€ la sinistralité moyenne annuelle à l’horizon 2050. En cumulant ces bénéfices sur la période 2022 – 2050, on obtient une “économie” de 2,8 Md€ pour le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
Figure 1 – Évolution des pertes annuelles moyennes par type d’aléas sous l’effet du changement climatique à horizon 2050.
Investissements dans les ouvrages hydrauliques
Destinés à réduire la fréquence et l’intensité des inondations, la création ou le confortement d’ouvrages hydrauliques constituent un des principaux leviers de la politique de prévention. Sur la dernière décennie, ils ont représenté 38 % des délégations brutes du Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM). Sur la période 2016 - 2020, cela représente un investissement moyen annuel de 96 M€ par le FPRNM. Cette somme ne représente qu’une partie des investissements dans les ouvrages hydrauliques puisque les collectivités locales participent également au financement. Au total, chaque année, ce sont donc 215 M€ qui sont investis dans les ouvrages hydrauliques. Pour évaluer les effets de ces ouvrages, CCR a cherché à déterminer les bénéfices des investissements sur la sinistralité à l’horizon 2050.
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# analyse coût-bénéfices
La méthodologie retenue s’appuie sur celle établie par le commissariat général au développement durable (CGDD) et qui est mise en œuvre actuellement dans le cadre des Programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI) . Pour déterminer sur le long terme, les bénéfices, c’est-à-dire les dommages évités, il est nécessaire de disposer de l’indicateur B/C qui détermine, pour un coût d’investissement (C) et les bénéfices attendus de la mesure (B). L’analyse des rapports des PAPI soumis à la labellisation par la Commission mixte inondation pour la période 2018 - 2020 a permis de définir un ratio B/C moyen de 3,5 c’est-à-dire que pour 1 € investi, les bénéfices attendus sont de 3,5 € sur une période de 50 ans.
En considérant le maintien des investissements annuels observés sur la période 2016 - 2020, la sinistralité due aux événements d’inondation et submersion marine en 2050 serait réduite de 130 M€. Au final, l’application de la loi Elan et la poursuite des investissements dans la prévention des inondations par le financement d’ouvrages hydrauliques devraient permettre d’enrayer partiellement la hausse attendue de la sinistralité qui s’élèverait à 32 % (contre 50 % sans ces dispositifs de prévention).
Figure 2 – Modélisation à l’échelle communale de l’effet des grands lacs (GL) sur les dommages consécutifs à la crue de janvier 1910.
Impact des grands lacs de Seine
À la suite de la sécheresse de 1920 et des inondations de 1924, plusieurs actions ont été mises en œuvre pour réduire la vulnérabilité du bassin de la Seine aux risques hydrologiques.
Un vaste programme de création de lacs-réservoirs permettant à la fois de lutter contre les crues et les étiages de la Seine a été lancé. Le premier à voir le jour est le lac-réservoir de Pannecières situé sur l’Yonne en 1949, ensuite viennent celui de la Seine en 1966, celui sur la Marne en 1974 et enfin celui de l’Aube en 1991. Au total, ces quatre lacs-réservoirs ont une capacité de 807 millions de mètres cubes et sont chargés d’assurer la régulation du bassin amont de la Seine. Le projet de La Bassée dont la construction du site pilote a été lancée en 2021 permettrait à terme d’accroître cette capacité à 862 millions de mètres cubes.
À la suite des inondations de 2018, CCR en collaboration avec l’EPTB Seine Grand Lac a cherché à évaluer l’efficacité de ces grands lacs sur le montant des dommages assurés. Il s’agissait de déterminer les bénéfices, c’est-à-dire les dommages évités, qu’avaient permis la présence de ces bassins. Dans un premier temps, l’efficacité des grands lacs de Seine a été mesurée lors de la survenance de la crue hivernale de 2018, pendant laquelle les grands lacs ont pu jouer pleinement leur rôle
d’ouvrages écréteurs de crue. Sur les dommages estimés à l’époque, leur efficacité a été de réduire la hauteur d’eau de 65 cm sur la Seine et de 75 cm sur la Marne aval, réduisant ainsi les dommages assurés de près de 100 M€, soit 30 % des dommages estimés au moment de la survenance de l’événement. Afin d’évaluer l’efficacité de ces dispositifs de protection, la crue de janvier 1910 a été simulée, si elle se produisait aujourd’hui, avec et sans la présence des grands Lacs. Ainsi, il a pu être montré, d’une part, que sans les grands lacs, les dommages assurés pour cet événement pourraient atteindre 15 à 33 Md€. D’autre part, avec une gestion appropriée de la crue par les grands Lacs, ces dommages diminueraient jusqu’à 12 - 28 Md€, soit une économie, en moyenne, de 3,5 Md€ (dont 2,5 Md€ de dommages aux professionnels). La fréquence annuelle d’occurrence d’un tel événement est estimée entre 1/100ème et 1/200ème.
Tableau 1 – Modélisation à l’échelle communale de l’effet des grands lacs (GL) sur les dommages consécutifs à la crue de janvier 1910.
CONCLUSION
En conclusion, les modèles développés par CCR depuis de nombreuses années sont mis en œuvre pour réaliser des études prospectives pour mesurer l’efficacité des mesures de prévention. Ces modèles ont été calibrés sur les dommages historiques constatés par l’ensemble des acteurs du marché de l’assurance en France et constituent donc à ce jour les outils d’estimation des dommages les plus robustes sur ce périmètre. En modifiant la vulnérabilité des biens dans ces modèles, il devient possible de réaliser des études à fine échelle de l’impact des mesures de prévention. Ensuite, à l’aide de catalogues stochastiques d’événements, de généraliser ces impacts à l’ensemble du territoire métropolitain.
Cette approche est actuellement mise en œuvre dans le cadre de la convention entre la DGPR et CCR afin d’estimer les dommages évités permis par la présence d’ouvrage hydraulique lors des inondations qui ont touché l’Aude en 2018 et le Var en 2020./
CITATION
Desarthe et al., Mise en œuvre des modèles de CCR pour mesurer l’efficacité des mesures de prévention sur les dommages assurés. In Rapport Scientifique CCR 2022 ; CCR, Paris, France, 2022, pp. 44 - 47