Modéliser l’aléa feux de forêts
(1) Quentin Jolivet - Master 2 AIMAF, Université de Rouen
(2) Roxane Marchal - Département R&D Modélisation, CCR
INTRODUCTION
Les travaux menés par Gualdi et al., 2022[1] ont permis de souligner l’exposition de la France aux feux de forêts avec l’évolution du climat dans le futur. Les zones les plus exposées sont la Corse et le sud-est de la France (région méditerranéenne). En 2022, 72 000 hectares ont brûlé en France pour environ 290 feux déclenchés[2].
Historiquement, la France a mis en place un système de prévention des feux de forêts avec des plans de prévention créés en 1987, des infrastructures (routes coupe-feu, bassins de rétentions etc.) et des interventions de débroussaillages. D’un point de vue assurantiel, les dommages aux biens consécutifs à ce péril sont couverts par l’assurance multirisque habitation mais ne sont pas intégrés dans le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
Dans les faits, 95 % des feux sont d’origine humaine et 80 % des incendies se déclenchent à moins de 50 m des habitations[3]. CCR s’intéresse à la modélisation de ce péril au regard de l’augmentation des intensités de températures, vents et sécheresses pouvant favoriser les départs de feux dits naturels. La modélisation des facteurs anthropiques est plus complexe et seules les conditions favorisant les départs de feux sont estimées.
L’étude est géographiquement centrée sur les départements les plus exposés, c’est-à-dire ceux de l’Arc méditerranéen. L’article présente les travaux réalisés pour construire un module d’aléa permettant de modéliser la probabilité de survenance et la propagation des feux.
MÉTHODOLOGIE
Le modèle d’aléa s’appuie dans un premier temps, sur la collecte de données. Tout d’abord, les données opendata météorologiques (températures, précipitations, vitesse et direction du vent) ont été téléchargées depuis le portail DRIAS au format NetCDF et sont au pas de temps journalier. Le format NetCDF permet de stocker un grand nombre de données multidimensionnelles qui sont à la fois des données spatiales et temporelles. L’Indice forêt météo (IFM) fourni quotidiennement par Météo-France a été utilisé car il est calculé à partir de cinq variables dont les variables de sécheresse et d’humidité de l’air. Pour la France, les valeurs de l’IFM vont de 0 à 20 points. Ensuite, les données d’occupation du sol OSO THEIA et les données d’imageries satellites de ESA Copernicus concernant les zonages des surfaces brûlées lors des événements historiques ont été récupérées pour développer le modèle et le valider.
Le modèle de probabilité de survenance
Dans le modèle d’aléa seuls les feux dont la superficie est supérieure à 4 ha ont été traités afin de limiter la surreprésentation des feux de petite superficie. Les incendies criminels ne sont pas considérés. Chaque carreau DFCI (Défense des forêts contre les incendies) à 2 km de résolution se voit attribuer des données météorologiques par l’application de la méthode des plus proches voisins. À partir d’un point E, qui représente l’endroit où un feu s’est déclenché historiquement, on recherche la maille Safran à laquelle il appartient en calculant les longueurs du point E aux différents centres des carrés des mailles. La longueur minimale nous informe du carré correspondant. Le modèle de survenance est basé sur un modèle logistique de caractère binaire : un feu (1), pas de feu (0).
L’effet de localisation est pris en compte par une maille de poids basée sur l’historique depuis 1981. Plus le nombre de feux historiques est important, plus le poids attribué à cette zone est élevé. Les variables climatiques et géographiques ont donc été combinées dans un « score pour mise à feu » en donnant une importance plus forte lors des périodes de fortes chaleurs (soit supérieure à 25 °C), d’IFM supérieur à 9 et de faibles précipitations (inférieur à 0.2 mm). Ces seuils ont été définis selon l’analyse des quantiles.
Afin d’optimiser les temps de calcul, le modèle tourne uniquement sur 150 jours par an, soit les derniers mois de printemps, les trois mois d’été et le premier mois d’automne.
Le score est par la suite pondéré par le nombre de feux historiques de 1981 dans la même maille :
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Le modèle de propagation
Le modèle de propagation est basé sur un modèle de percolation, c’est-à-dire un modèle qui évolue de proche en proche. Le modèle de percolation prend en entrée le point désigné par le modèle de survenance. Puis, il renvoie une liste de tous les points qui ont brûlé en fonction de l’occupation du sol.
Par la suite, on vérifie que les points récupérés n’appartiennent pas à la liste des points brûlés, car ceux-ci ne peuvent plus s’embraser à nouveau. Ensuite, les probabilités sont testées afin de savoir si les points retenus s’enflamment ou non. La variable du vent est intégrée à ce moment-là car elle modifie les probabilités de transmission de proche en proche. S’il n’y a pas de vent ou si la vitesse d’un vent est supérieure à 140 km/h, la probabilité n’est pas modifiée (Figure 1).
En présence de vent, la probabilité de transfert est modifiée. Par exemple, si on considère un vent purement horizontal de l’ouest vers l’est, les probabilités de brûler des points au nord et au sud du point enflammé ne sont pas modifiées. En revanche, le point à l’est aura une probabilité de mise à feu supérieure à celle en temps non venteux, et le point à l’ouest aura une probabilité inférieure.
L’influence de la température
La considération de cette variable a été intégrée afin d’évaluer la corrélation entre la surface brûlée et la température. La température est la seule variable météorologique qui joue un rôle sur l’apparition d’un incendie et sur sa propagation.
Différentes classes de températures ont été créées et les surfaces brûlées moyennes sont attribuées pour chaque classe. L’augmentation est exponentielle. La Figure 2 montre l’évolution du logarithme népérien de la surface moyenne brûlée par un feu en fonction de la température maximale atteinte cette journée-là. La droite rouge correspond à la régression linéaire appliquée à la courbe du logarithme de la surface moyenne brûlée en fonction de la classe de température.
Figure 1 – Modification des probabilités par l’intégration de la variable “vent”
Figure 2 – Logarithme népérien de la surface brûlée moyenne en fonction de la température.
Figure 3 – Période de retour (en année) d’un feu d’intensité supérieure à une aire brûlée (en ha), par département.
Figure 4 – Modèle de prédiction pour l’année 2017. En bleu, les feux réellement survenus en 2017, en rose les feux prédits par le modèle.
LES PARTENAIRES
L’Université de Rouen est connue pour son master AIMAF Actuariat et ingénierie mathématique en assurance et finance qui propose une formation aux méthodes statistiques, numériques et informatiques utilisées dans le secteur de la finance et de l’assurance.
RÉSULTATS
Les départements de l’Arc méditerranéen ne sont pas tous exposés de manière identique. Les courbes période de retour / superficie du feu par département soulignent une plus forte exposition des départements du Var (83), de la Corse (2A et 2B) et des Bouches-duRhône (13). Au contraire, les départements des Hautes-Alpes (05), Drôme (26) et Lozère (48) sont moins exposés avec des superficies brûlées plus petites et moins fréquentes (Figure 3).
Le modèle de survenance a été calibré sur l’historique des données Prométhée en comparant les feux prédits des feux réels. 278 feux sont survenus en 2017, et le modèle en prédit 257 (Figure 4). Les feux prédits par le modèle probabiliste ne peuvent correspondre exactement à l’historique notamment du fait des incertitudes relatives aux déclenchements accidentels. Cependant, les départements fortement exposés sont bien représentés. On retrouve les départements de Corse, ainsi que les Bouches-du-Rhône. L’intégration de la variable température permet d’évaluer la corrélation entre surfaces brûlées et température. La Figure 5 représente la répartition des surfaces brûlées sur l’historique. La loi de distribution des superficies discrètes semble être géométrique (courbe rouge).
En prenant en compte la température, une diminution de la fréquence d’apparition des petits feux de 4 ou 5 ha est observée. À 0 °C, plus de 85 % des feux ont une surface de moins de 15 ha. En revanche, pour la température extrême de 40 °C, seuls 25 % ont une superficie de moins de 15 ha. De manière similaire, une nette augmentation du nombre de grands feux en fonction de la température est considérée.
Le modèle de propagation a été validé en utilisant les zonages historiques des surfaces brûlées téléchargés depuis ESA Copernicus. Page suivante la Figure 6 est une sortie du modèle de propagation avec prise en compte de l’effet du vent, pour différentes vitesses et intégration de la direction du vent dominant.
CONCLUSION
Ce nouveau modèle Cat participe à l’amélioration de la connaissance des risques naturels pouvant survenir en France. Il permet de définir les probabilités de déclenchement d’un feu et la propagation de ce dernier en fonction des données météorologiques et spatiales. La capacité de définir les dommages assurés de façon prospective permet de participer au développement des échanges sur l’intégration possible de ce risque dans le régime Cat Nat. Au-delà de la gestion assurantielle de ce risque, cette étude peut s’insérer dans les politiques de prévention des incendies./
Figure 5 – Histogramme des superficies brûlées depuis 1981 par classe sans prise en compte de la température.
Figure 6 – Résultats du modèle de propagation (en rouge) et comparaison avec la zone réellement brûlée (en noir). Prise en compte du vent dominant ouest-est sur le secteur d’Olmeta-di-Tuda (Corse) feu de 2017
RÉFÉRENCES
1. Gualdi, B.; Binet-Stéphan, E.; Bahabi, A.; Marchal, R.; Moncoulon, D. Modelling Fire Risk Exposure for France Using Machine Learning. Appl. Sci. 2022, 12, 1635. https://doi.org/10.3390/ app12031635
2. Retour d’expérience sur la saison des feux de forêts 2022, https://www.interieur.gouv.fr/ actualites/communiques/retourdexperience-sur-saison-des-feuxde-forets-2022-caroline-cayeuxrecoit, consulté en novembre 2022
3. Bouisset C., L’urbanisation anarchique, facteur aggravant des incendies dans les Landes, The Conversation, 2022, consulté le 30/08/2022 https://theconversation.com/ lurbanisation-anarchique-facteuraggravant-des-incendies-dans-leslandes-188619
CITATION
Jolivet et al., Modéliser les feux de forêts. In Rapport Scientifique CCR 2022 ; CCR, Paris, France, 2022, pp. 50-53