Modèle probabiliste d’exposition aux séismes en France métropolitaine
(1) Corentin Gouache - Département R&D Modélisation, CCR
(2) Jean-Philippe Naulin - Département R&D Modélisation, CCR
(3) Pierre Tinard - Département Cotations et Cellule Cat, CCR Re
(4) François Bonneau - RING, ENSG, GeoRessources, Université de Lorraine, CNRS, ASGA
(5) Julien Rey - Direction Risques et Prévention, unité Risques Sismiques et Volcaniques, BRGM
INTRODUCTION
En 2009, CCR a commencé à utiliser le logiciel RiskLink développé par la société RMS (Risk Management Solutions) pour estimer les pertes sismiques probabilistes sur le territoire français, que ce soit aux Antilles ou en métropole. Depuis 2015, CCR a travaillé en étroite relation avec le BRGM, dans le cadre d’une conventioncadre pluriannuelle, pour développer son propre modèle d’estimation de pertes sismiques déterministes. Finalement, de 2017 à 2021, la réalisation successive d’un stage ingénieur et d’une thèse de doctorat a permis de travailler sur un modèle d’aléa sismique probabiliste en France métropolitaine ayant abouti à la création en 2022 d’un modèle d’estimation des pertes assurantielles dues au péril séisme propre à CCR en métropole.
MÉTHODOLOGIE
Comme pour d’autres périls, le modèle séisme est composé de trois modules : (i) le module d’aléa qui permet de caractériser l’intensité de l’événement, (ii) le module de vulnérabilité qui détermine les biens exposés et leur capacité à résister à une charge sismique, et (iii) le module de dommages qui permet de modéliser les pertes assurantielles consécutives à un événement.
Le module d’aléa
La métrique quantitative de l’aléa sismique utilisée par CCR est représentée par l’accélération maximale du sol notée PGA pour Peak Ground Acceleration traduisant les mouvements induits par les ondes sismiques responsables des dommages aux structures. Le module d’aléa consiste à associer à un aléa sismique une probabilité d’occurrence et ce en chaque point du territoire.
Pour ce faire, CCR utilise un générateur stochastique de séismes potentiels simulant des dizaines de milliers d’années. Cette approche permet de produire des réalisations plausibles de la sismicité française, non pas en reproduisant la sismicité passée mais en se basant sur ses caractéristiques. La première étape consiste donc à étudier la sismicité passée au travers de zones sismotectoniques au sein desquelles la sismicité et la tectonique sont considérées comme uniformes. Sur ces données régionalisées, les relations statistiques entre le nombre annuel et la magnitude des séismes sont analysées à l’aide de la loi Gutenberg et Richter [1]. Cette analyse spatiotemporelle ne concerne que les séismes indépendants les uns des autres. Les répliques et séismes précurseurs sont donc identifiés et dissociés du catalogue d’étude à l’aide de l’algorithme de declustering de Grünthal [2]. Une fois les séismes indépendants générés grâce à une loi de Poisson non uniforme, les répliques sont (i) produites à l’aide de la distribution de proportion de répliques en fonction de la magnitude obtenue par l’algorithme de declustering puis (ii) associées à leur séisme principal grâce à la loi de Bath [3]. Finalement, pour un catalogue de 50 000 années fictives par exemple, environ 80 000 séismes de magnitude supérieure ou égale à 4 sont générés soit 1,6 séisme par an, composés de 62,5 % de séismes indépendants et 37,5 % de répliques. Dans un dernier temps, le PGA produit par chaque séisme fictif est calculé en surface. Ce calcul est réalisé à l’aide de l’équation de prédiction des mouvements du sol suivante [4] :
qui prend pour entrées, a minima, la magnitude M du séisme et la distance D entre le plan de rupture du séisme et le site en surface. Les valeurs de PGA sont ensuite transformées en intensités macrosismiques I. La relation utilisée entre le PGA et I est la suivante [5] :
Dans cette étude, chaque site est espacé de 250 mètres, ce qui permet de produire une carte d’intensités macrosismiques à une résolution de 250 m sur le territoire impacté par le séisme.
Le module de vulnérabilité
Le module de vulnérabilité se base sur les polices d’assurances en renseignant notamment les caractéristiques physiques des bâtiments associés. Pour chaque police, les valeurs d’intensité macrosismique I produites par les séismes fictifs sont récupérées. Pour le péril séisme, des informations spécifiques telles que les matériaux de construction, la hauteur ou encore l’âge des bâtiments sont obtenues grâce aux données de la BD Topo ® de l’IGN. Ces caractéristiques physiques permettent d’associer, à chacun des bâtiments, un indice de vulnérabilité VI. Cet indice décrit la capacité d’un bâtiment à résister à une secousse sismique : de 0 pour un bâtiment « invulnérable » à 1 pour un bâtiment totalement dépourvu de défense contre les agressions sismiques. Un programme pluriannuel de travail conjoint avec le BRGM a permis d’estimer les indices de vulnérabilité spécifiques aux principales typologies de bâtiments français à vocation résidentielle, commerciale ou industrielle [6]. Ces études ont été régionalisées pour les bâtiments à usage d’habitation du fait de la variabilité des pratiques constructives passées en métropole. Ensuite, un lien entre les bâtiments et les polices est réalisé suivant la qualité de géolocalisation des polices et en fonction du type de risque, nature et usage, afin d’associer à chaque police un indice VI.
Le module de dommages
Le module de dommages consiste à produire des courbes d’endommagement puis d’estimer les coûts liés à un événement. Cela passe par la définition de la classe de dégâts D. Cette classe décrit les dégâts subis par le bâtiment, allant de 0 pour « aucun dégât » jusqu’à 5 pour « destruction totale ». Une fois que chaque police a été caractérisée par une intensité macrosismique I propre à chaque séisme du catalogue probabiliste et un indice de vulnérabilité VI, la classe de dégâts d’une police p impactée par un séisme s est définie comme tel [7] :
Les courbes d’endommagement sont des relations entre la classe de dégâts D, la fréquence de sinistre FS et le taux de destruction TD. Ces relations sont établies par type de risque, nature et usage. Pour chaque police p, FS et TD sont multipliés à la valeur assurée VA de la police, afin d’estimer les coûts induits par un séisme s sur cette police tel que :
RÉSULTATS
Dans l’optique de mesurer la pertinence des modules d’aléa, vulnérabilité et dommages utilisés dans le modèle séisme CCR, les coûts occasionnés par les trois principaux séismes ayant impactés la France métropolitaine (depuis la mise en place du régime d’indemnisation des Cat Nat en 1982) sont comparés avec ceux calculés par le modèle (Tableau 1).
Tableau 1 – Comparaison des coûts réels et simulés pour trois séismes français. Les coûts sont indiqués en millions d’euros 2021.
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Dans cette partie, le terme « coûts » regroupe les coûts d’indemnisation Cat Nat de contenu et de contenant des bâtiments résidentiels et professionnels (commerces, industries, agricoles). Les résultats du modèle séisme CCR sont proches des coûts réels des trois séismes analysés. Ce constat est d’autant plus encourageant que le séisme du Teil est difficile à simuler étant donné sa spécificité (très faible profondeur). Les coûts engendrés par des séismes dits historiques (ante 1982), ont également été estimés. C’est le cas, par exemple, des séismes de Arette (1967) et de Lambesc (1909) estimés respectivement à 178 M€ et 1,5 Md€.
Le modèle générant des années probables de sinistralité, il est possible de calculer le coût moyen annuel ainsi que les coûts associés à différentes périodes de retour. La carte présentée en Figure 1 illustre la répartition départementale du coût moyen annuel en France métropolitaine d’après le modèle séisme CCR et sur la base du portefeuille marché CCR. Les régions les plus exposées sont sans surprise les chaînes de montagnes, notamment les Pyrénées Occidentales et les Alpes du Nord. À noter que, plus inattendu, la vallée du Rhône ainsi que la partie centre-ouest de la France sont également assez exposées. Cette dernière région correspond au cisaillement Sud-Armoricain, reliant le sud de la Bretagne à la frontière nord-ouest du Massif Central. À l’inverse, une grande partie des bassins Aquitain et Parisien, qui sont connus pour être sismiquement peu actifs, sont confirmés comme faisant bien partie des régions les moins exposées au risque sismique.
La Figure 2 montre quant à elle les séismes impliqués dans l’année fictive la plus coûteuse sur les 50 000 années générées. Il s’agit d’un séisme principal dans le piémont pyrénéen, suivi de 26 répliques. Les coûts communaux simulés pour l’ensemble de ces événements sont également illustrés. L’ensemble de ces coûts s’élèvent à plus de 47 Md€. Bien qu’environ 1 000 communes, réparties sur 5 départements, soient impactées par ces séismes, la région la plus touchée se trouve entre Pau et Lourdes. La présence de nombreux séismes fictifs plus ou moins puissants (de magnitude 4 à 6,2) à proximité de Pau, dont l’agglomération compte plus de 200 000 habitants, explique les forts coûts simulés. Les trois communes les plus touchées (> 1 Md€) font d’ailleurs partie de l’agglomération de Pau : Pau elle-même avec plus de 6 Md€ de coûts ainsi que Billère et Lons avec un peu plus de 1 Md€ chacune.
Figure 1 – Carte des coûts moyens annuels par département obtenus à partir du modèle séisme CCR et sur la base de la vision CCR du marché
Figure 2 – Coûts par commune engendrés par la vingtaine de séismes ayant eu lieu la même année fictive selon le générateur de séismes CCR. Cet ensemble est constitué d’un séisme principal de magnitude 6,2 et de ses répliques, localisées le long de la faille (orientée NO-SE) associée au séisme principal. La taille et la couleur des séismes représentent respectivement la magnitude et les coûts induits par chacun des événements.
LES PARTENAIRES
L’ASGA est une association loi 1901. Créée le 24 mai 1955, elle a pour objet de promouvoir l’enseignement et la recherche dans les domaines des Sciences de la Terre. L’ASGA soutient et gère le projet RING (Research for Integrative Numerical Geology) depuis 1989. Ce projet est soutenu par un consortium international regroupant 10 sponsors industriels dont CCR depuis 2018 et plus de 140 académiques. Le consortium finance largement l’équipe de recherche RING de l’Ecole Nationale Supérieure de Géologie (ENSG) de Nancy et du laboratoire GeoRessources dont les tutelles principales sont l’Université de Lorraine et le CNRS.
Le BRGM est un établissement public à caractère industriel et commercial dont l’objectif est de comprendre les phénomènes géologiques et les risques associés dans un cadre de soutien de la politique publique de réduction et de maîtrise des risques. Outre ses travaux de recherche fondamentale, le BRGM mène de nombreux travaux de recherche appliquée en partenariat avec des acteurs socioéconomiques, dont des entreprises, en réponse à leurs besoins et en particulier depuis de nombreuses années dans le domaine des risques naturels avec CCR.
CONCLUSION
Les composantes principales du modèle CCR d’estimation des coûts assurantiels liés aux séismes en métropole ont été présentés dans cet article. Le modèle est composé (i) d’un module d’aléa générant des dizaines de milliers d’années de sismicité fictive et plausible et calculant les accélérations maximales du sol associées aux séismes fictifs, (ii) d’un module de vulnérabilité reposant sur le bâti et des études locales ayant permis de préciser ses caractéristiques physiques et enfin (iii) d’un module de dommages produisant des courbes d’endommagement par risque, nature et usage à partir d’une référence et de données de sinistralité.
En moyenne, au moins un séisme de magnitude supérieure ou égale à 4 est généré annuellement, ce qui correspond aux observations de la sismicité instrumentale sur le territoire français depuis 50 ans. Néanmoins, la plupart de ces séismes sont de magnitude faible à modérée (< 4,5). Les zones impactées par ces faibles séismes sont peu étendues et les aléas produits ne sont pas élevés.
Ainsi, très peu d’entre eux aboutissent finalement à des dommages. Ceci est cohérent avec la situation observée par la population en métropole puisque la majorité des séismes ressentis n’est associée à aucun dommage notable.
Le dernier exemple en date concerne le séisme proche de Mulhouse du 10 septembre 2022 de magnitude locale 4,8. Cependant, le modèle n’exclut pas le scénario où plusieurs forts séismes surviennent la même année. Si ces séismes ont lieu dans des régions densément peuplées, les dommages aux biens sur une année peuvent atteindre en cumulé plusieurs milliards d’euros.
Plusieurs axes d’amélioration peuvent être envisagés tels que la prise en compte des failles dans la localisation des séismes fictifs [8] ou encore la modification dynamique des indices de vulnérabilité entre l’occurrence d’un séisme principal et de ses répliques. En effet, après la survenance d’un séisme, le bâti est endommagé ce qui tend à augmenter sa vulnérabilité originelle. Au-delà de ces améliorations, un modèle similaire est en cours de développement pour les territoires français antillais. Enfin, il est envisagé de développer un modèle tsunami propre à CCR qui serait couplé avec le module d’aléa sismique./
RÉFÉRENCES
1. B. Gutenberg et C. F. Richter, (1944) « Frequency of earthquakes in California », Bull. Seismol. Soc. Am., vol. 34, n°4, p. 185-188.
2. G. Grünthal, (1985) « The updated earthquake catalogue for the German democratic Republic and adjacent areas-statistical data characteristics and conclusions for hazard assessment », présenté à Proc. 3rd Int. Symp. On the Analysis of Seismicity and Seismic Risk, Liblice Castle, Czechoslovakia.
3. M. Båth, (déc. 1965) « Lateral inhomogeneities of the upper mantle », Tectonophysics, vol. 2, no 6, p. 483-514, doi: 10.1016/0040-1951(65)90003-X.
4. S. Drouet et F. Cotton, (2015) « Regional stochastic GMPEs in low-seismicity areas: Scaling and aleatory variability analysis— Application to the French Alps », Bull. Seismol. Soc. Am., vol. 105, no 4, p. 1883-1902, doi: 10.1785/0120140240.
5. C. B. Worden, D. J. Wald, T. I. Allen, K. Lin, D. Garcia, et G. Cua, (déc. 2010) « A Revised GroundMotion and Intensity Interpolation Scheme for ShakeMap », Bull. Seismol. Soc. Am., vol. 100, no 6, p. 3083-3096, doi: 10.1785/0120100101.
6. J. Rey et P. Tinard, (2020 ) « Étude réalisée dans le cadre des projets de Service public du BRGM 2019-2020 (Convention spécifique d’application CCR – BRGM) », p. 23.
7. Z. V. Milutinovic et G. S. Trendafiloski, (sept. 2003 ) « WP4: Vulnerability of current buildings. », RISK-UE, EVK4-CT-2000-00014. 8. C. Gouache, P. Tinard et F. Bonneau, (2022 ) « Stochastic Generator of Earthquakes for Mainland France », Appl. Sci., vol. 12, n°2, p.571, doi: 10.3390/ app12020571.
CITATION
Gouache et al., Premier modèle probabiliste d’exposition aux séismes en France métropolitaine. In Rapport Scientifique CCR 2022 ; CCR, Paris, France, 2022, pp. 10-13